base menu 2 et 3
A comme atelier
L’atelier d'Amélie
Images et Texte : Claudine Boeglin
L'atelier est secret. Rectangulaire. Coincé entre deux portes. Intime comme un lit défait. On y entre à pas de loup, d'un air coupable. Désir sacrilège de recoller bout à bout les obsessions. L'artiste et ses répétitions. Comme les tresses qui s'étirent en filigrane sur la craie des murs buvards—serpents ou serpentins d'une histoire racontée en oblique. Comme les pierres enroulées dans des rubans effrangés. Et Ginger, roulée en boule, tigre apprivoisé, qui se recroqueville sur le velours roux du fauteuil crapaud.
Les objets entrent du dehors dans l'atelier, par bribes, insolites et signifiants. Avec des airs de conspirateurs. Puis ils deviennent fragments de récits, composés par des mains solides et belles que la glaise assèche. Alors des formes aqua-marines se dessinent, ondulantes. Des rocs, comme ceux des côtes sauvages que l'Atlantique sculpte avec de grands coups d'éclats, vagues telluriques et assassines. Dans l’atelier, des rocs se forment avec la même vitalité créatrice.
Que serait l'atelier s'il était sans murs et sans angles, sans écrans d'ordinateur, sans carnets de notes, sans tous ces éléments qui structurent les corps et les pensées ? Tresses interminables, papiers dispersés, coquillages fossilisés dans de la pierre millénaire, poudres calcaires et outils épars… L'atelier serait traversé d'alizés, de sirocco, de poussières de sable, de cendres de cigarettes dissimulées sous la sciure, de mini-objets ludiques à peine scotchés qui racontent des fables d’enfance. De mots énigmatiques comme L'abri, un autre secret caché dans les Calanques.
L'atelier sans murs tirerait un trait de crayon gras entre la France du Nord et du Sud, entre temporalités et géographies familières, comme les oiseaux sur les fils électriques qui savent trouver leur distance sans gradation ; qui savent qu'ils sont une même espèce.
Que serait l'atelier sans murs alors ? Une cachette. Faite d'imagination et d’immensité, de tempêtes, d'ondulations comme les dunes que le vent sculpte ou les cheveux laissés libres. Comme les tresses défaites qui font des vagues comme la tôle sur les toits des cabanes qu'on fait enfant, dans l’opacité des arbres. Se cacher, c'est une manie d'enfant et d'adolescent après tout. Chez l'adulte, c'est plus sournois et un peu tordu. Sauf pour l'artiste qui continue de jouer, de questionner, et de forger des correspondances.
L'atelier, avec ses murs, ses chaises, ses tables et ses étagères remplis de symboles, de codes et de hiéroglyphes, c'est un tapis volant entre terre et mère, entre nature et littérature, où la musique elle-même est scandée et saccadée : mélodies faites de leitmotivs, de coups de marteaux, de litanies et fractures. Témoin, bouche cousue et indomptable, l'atelier au contraire du cube blanc où les pépites trônent et se donnent en pâture, ne trie pas et ne trahit pas ses secrets.
C_
10.III.2025
Photography Claudine Boeglin @dandyvagabond
Photography Claudine Boeglin